Safia Kessas, architecte de la diversité à la RTBF

Que ça soit dans son travail de journaliste, chroniqueuse, réalisatrice ou productrice, l’engagement de Safia Kessas contre les discriminations reflète sa détermination à plus de diversité dans les médias. Mais quand on parle de diversité dans les médias, qu’est-ce qu’on entend exactement ? Safia Kessas qui est aussi responsable Diversité et Égalité à la RTBF, nous explique avec nuance ce que recouvrent ces notions et comment elle travaille chaque jour pour une meilleure représentation des minorités dans les médias.

La diversité, une notion difficile à définir ?

La notion de « diversité » dans les médias recouvre plusieurs choses : on peut penser aux origines, au genre, à l’orientation sexuelle ou à l’âge des personnes qui apparaissent à l’image, mais il y a aussi tout ce qui passe derrière la caméra (qui produit, réalise, filme) et le contenu (quel point de vue est adopté, quels sujets sont mis en valeurs). Comme Safia Kessas l’explique, la diversité est multiple et il serait une erreur de vouloir se cantonner à un seul discours. Dans une grande entreprise comme la RTBF, « jamais 2000 personnes ne s’accorderont sur ce que la diversité signifie, pour énormément de gens ce sont des choses extrêmement différentes. La diversité, pour certains, sera celle d’opinion, pour d’autre celle d’âge, pour d’autres encore celle d’origine… Chacun peut y voir ce qu’il en a envie. Mais le plus important c’est que l’on soit conscient que l’image que l’on renvoie au monde de par notre travail ne dois pas nécessairement être la sienne ». En effet, notre vision du monde est largement façonnée par nos contacts avec les autres, mais aussi par les médias. Or aujourd’hui, les médias manquent encore de diversité : comme le montre ce graphique provenant d’une étude datant de 2013 faite par le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel).

Il est important que les journalistes aient conscience des représentations du monde qu’ils diffusent, car s’il fallait croire celles-ci, notre pays ne contiendrait que 37% de femmes.

Pour une information de meilleure qualité et une représentation du monde plus large et donc plus fidèle, des outils existent tels que Expertalia. Cette base de donnée reprend des experts et expertes issues de la diversité pour permettre de varier les sources et de ne pas toujours entendre les mêmes personnes sur les mêmes sujets. « C’est là un autre aspect du travail journalistique : collaborer avec l’association des journalistes professionnels pour accompagner et promouvoir la prise de parole des experts issus de la diversité. »

La diversité est un puissant outil pour les entreprises. Devant l’injonction de toujours plus d’innovations, avoir du personnel de genre, âge, classe sociale et culture différente permet d’avoir une réelle diversité d’idées qui assura sa pérennité sur le long terme [1]. Mais en quoi consiste exactement le travail de « Responsable diversité et égalité » à la RTBF ? Safia Kessas décrit sa fonction comme un apport d’expertise, de contacts et à certain moment, d’une vision, mais comme elle le nuance : « la diversité et l’égalité ne sont pas des valeurs synthétisées en une vision commune que chaque membre de l’entreprise porte. Je ne suis pas toute seule à décider si on fait appel à tel intervenante ou tel intervenant. C’est quelque chose qui se décide dans une sorte d’intelligence collective où tout le monde est censé comprendre que ça a une importance et un intérêt de se mettre au diapason de la diversité. »

Le sujet de la diversité se retrouve souvent happé par la nécessité, ou non, d’avoir recours à la discrimination positive – comme c’est le cas dans les programmes financés par le gouvernement fédéral aux États-Unis [2]
– pour être sûr qu’elle soit respectée ou simplement instaurée. A ce propos, Safia Kessas est claire : « nous avons une charte où nous nous engageons à promouvoir la diversité mais ce n’est pas dans notre mentalité à la RTBF d’obliger les gens ». Néanmoins, elle se réjouit des avancées actuelles : « Il y a un esprit qui se développe autour de la diversité et qui touche un peu à tout. Particulièrement sur le recrutement où il y a une vraie sensibilité, une vraie ouverture sur ces questions. […] En pratique, à la RTBF, des baromètres ont été mis en place pour prendre la température et savoir quelle place la diversité occupe dans les contenus. C’est sur base de ces données chiffrées que les équipes sont informées, ce qui permet une prise de conscience du reflet de la société que nous projetons. Les personnes sont sensibilisées et celles qui le souhaitent peuvent effectuer une réflexion plus pointue sur la diversité et ses bienfaits à la RTBF Academy ».

La prise en charge de la diversité passe aussi par la façon dont on traite certains sujets. Ainsi, un des combats notoire de la journaliste est l’amélioration du traitement médiatique des violences faites aux femmes, dont elle dénonce la banalisation sur les réseaux sociaux.

Réalisatrice également, elle cherche à proposer des portraits plus diversifiés de la société et contribue à élargir le paysage des représentations médiatiques. Tout récemment, elle a posé sa caméra sur les jeunes des quartiers défavorisés. À travers une série documentaire nommée « Rive Gauche », elle suit des étudiants d’une école professionnelle du nord de Bruxelles. « La jeunesse bruxelloise me préoccupe énormément car ce sont eux, à mon sens, qui font la société. Nous savons que plus d’un jeune sur trois a des parents absents. A partir de là, j’ai trouvé intéressant de poser ma caméra pendant un an sur les bancs d’une école professionnelle à la lisière de Molenbeek, à Laeken. On s’est intéressé à ces jeunes, on a observé leur quotidien, où ils vivent, ce qu’ils vivent et ce n’est vraiment pas toujours facile. C’était simplement fascinant de voir à quel point ils avaient envie de toujours aller plus loin. Tout ce dont ils ont besoin, c’est qu’on leurs donne un petit peu de reconnaissance. Ce sont des jeunes qu’on devrait voir plus souvent, tels qu’ils sont vraiment et non dans les rôles stéréotypés habituels où on finit par avoir peur en les croisant. Notre objectif avec Joel Franka – le co-réalisateur - était de démonter ces stéréotypes et je pense que nous y sommes parvenus grâce à des histoires touchantes, drôles et universelles. »

Au bout d’une année d’immersion, l’aventure a permis des rencontres personnelles inoubliables et de jeter un regard sur une situation banale à la fois dure et positive. « C’est l’histoire de Wielfried, Ami, Mayma, Cibel, … et de professeurs super sympa, qui sont pratiquement des amis. Cela ne nous a pas empêché de faire notre boulot et de montrer parfois une réalité qui se veut brutale. On voulait voir comment on accompagne ces jeunes quand on est confronté à la violence, à l’absentéisme,… ce n’est pas tout rose, mais c’est la vie. Ce qui est frappant c’est de voir avec quels moyens dérisoires on suit ces jeunes. J’ai donc une grande pensée pour tous ces enseignants et éducateurs qui donnent énormément d’eux-mêmes. C’est simplement une histoire humaine. »

Ce nouveau documentaire, présenté en avant-première au Ramdam Festival de Tournai en janvier, sera diffusée sur La Deux dans le courant de l’année 2018.