Le chant des hommes entre fiction et documentaire

Dans leur dernier long métrage Le Chant des Hommes, Bénédicte Liénard et Mary Jiménez posent des questions qui portent à la fois sur l’actualité, la culture sociale et le 7ème art. Le film met en scène les récits de vie d’hommes et de femmes liés par un seul et même objectif, celui de retrouver une certaine humanité là où elle semble avoir été oubliée : la condition des demandeurs d’asile. Rencontre avec des réalisatrices engagées.


B.L. : Il y a deux manières d’analyser le film et sa genèse. Celui de l’expérience citoyenne d’une part, et celui de femmes cinéastes de l’autre. Cela fait des années qu’on est proches des mouvements liés aux sans-papiers. Leurs histoires sont passionnantes et leurs particularités culturelles enrichissantes pour notre travail.Dans ce rapport à la migration, on a deschoses à raconter qui apparaissent comme une nécessité, et non comme un loisir.

On a choisi de faire un docu-fiction parce que le cinéma de fiction d’aujourd’hui est en faillite au niveau des représentations qu’il véhicule. En comparaison à celui des années 70/80, on assiste à une mutation des codes qui reflètent désormais l’idéologie individualiste dominante.
Dans le cinéma contemporain, le groupe humain est très peu représenté. Mais qui dit groupe humain, dit groupe multiculturel : par exemple, qu’est-ce que le cinéma de fiction propose comme représentation des populations d’Afrique noire ? On a l’Arabe de service, ou l’Africain sauvé par l’occidental. Tous ces hommes et ces femmes sont perçus sur les écrans comme des victimes passives, au lieu d’être vus comme des gens en souffrance qui luttent debout. Le documentaire de son côté, appartient à un cinéma plus marginal, et la marge souffre moins de ces représentations.

Quel est le rôle du Chant des Hommes par rapport à la question du traitement médiatique réservé aux réfugiés ?


B.L. : Le film est sorti la semaine où, dansl’actualité, tout s’est enchaîné (Coxyde, le Danemark, l’affaire de Cologne, etc.). Dès qu’on allumait la radio, on se disait : « C’est du tir de sniper dont les réfugiés sont la cible ». On entretient la peur et la méfiance vis-à-vis d’un autre qui est présenté comme « dangereux ». Le Chant des Hommes va totalement à l’encontre de ça. On est dans une société où le traitement médiatique n’accorde pas de place aux nouvelles positives qui font avancer. Prenons l’exemple de la médiatisation de l’islam et de la radicalisation. Pendant le tournage, on a vu des mosquées se construire au sein des églises, la prière des musulmans se faire en même temps que celle des catholiques. Est-ce que dans les médias, il y a déjà eu un sujet sur ça ? Coxyde a occupé le journal télévisé, mais il n’y aura jamais un sujet qui dit « regardez, les musulmans et les chrétiens, ils prient ensemble et ça marche ! »

M.J. : Nous avions envie de faire découvrir de manière plus intime leurs problèmes et leurs histoires. Ce sont des héros, qui ont des raisons d’être ici que nous avons peine à imaginer. Ce film, c’était leur donner un visage. Les médias utilisent le terme « migrant », mais où est le demandeur d’asile là-dedans ? Ils mettent tout le monde dans le même sac. Le film ne changera pas quoique ce soit. C’est plutôt une goutte d’eau, mais qui est essentielle. Pour nous, si un film touche une personne, c’est qu’il valait la peine d’être fait.

Projection du long-métrage « Le chant des hommes »

À Seraing :
le 18 mars 2016 à 19h30
Entrée gratuite
ASBL Leonardo da Vinci
86 rue Cockerill
4100 Liège (Seraing).