La condition de la femme dans l’immigration : Özge et sa petite Anatolie

La Belgique a connu plusieurs vagues d’immigration qui ont été encadrées par des accords bilatéraux passés entre la Belgique et certains pays qui devaient répondre à un besoin de main-d’oeuvre dans différents secteurs économiques tels que le charbonnage, la sidérurgie, la métallurgie, la chimie, la construction et les transports. Ces conventions concernent en partie, les communautés italiennes, espagnoles, grecques, marocaines, turques, algériennes et yougoslaves.

L’immigration des femmes a été également encouragée par le gouvernement belge, dans le but, non pas de travailler mais d’assurer l’équilibre démographique de la population belge vieillissante et de stabiliser la main d’oeuvre masculine. Elles étaient donc à l’origine perçues avant tout comme des « épouses d’ouvriers » plutôt que comme des travailleuses. Le modèle patriarcal de la société belge a contribué à maintenir les femmes et les hommes dans des rôles très sexués1. Cette image de l’immigrée réduite à son rôle d’épouse est restée très présente et a contribué à invisibiliser les femmes qui, par la suite, ont joué un rôle important dans l’économie belge. Depuis la fin des années 2000, on parle en effet d’une « féminisation des flux migratoires » : les femmes ne jouent plus forcément le rôle d’accompagnatrice. Elles sont davantage actrices et moteur de ces flux. Dans certains cas, ce sont leurs maris qui les rejoignent après que celles-ci se soient intégrées au sein de la société occidentale. Cependant les femmes issues des premières vagues d’immigration sont toujours assez peu visibles dans les médias, même si dernièrement des documentaires commencent à leur donner la parole.

ÖZGE ET SA PETIT E ANATOLIE

Le documentaire Özge et sa petite Anatolie 3 s’est intéressé aux femmes du quartier bruxellois « La petite Anatolie », situé sur Saint-Josse et Schaerbeek. Quatre générations de femmes, aux parcours très différents, partagent leur regard sur l’immigration turque en Belgique, sur leur rapport à la culture belge et à la culture turque et leurs questionnements sur leur communauté qui peut protéger mais aussi enfermer. Les réalisateurs de Özge et sa petite Anatolie, Pierre Chemin et Tülin Özdemir (qui fait également partie du jury du concours de courts métrages À Films Ouverts) ont accepté de répondre à nos questions.

Dans le quartier bruxellois de la “petite Anatolie”, les habitants se connaissent et cohabitent,mais il y a-t-il de réelles rencontres entre ceux d’origine turque et les autres ?


Tülin Özdemir : « Oui, il y a de la multiculturalité,mais pas spécialement de l’interculturalité. Par exemple lorsque j’étais petite, j’avais essentiellement des amis d’autres origines, mais très peu d’amis turcs. Donc j’étais vraiment entourée de cultures différentes. Mais ça, c’était à l’école tandis qu’au quartier je jouais avec des enfants turcs. Mes études, et mon parcours en général se sont toujours faits en dehors de la communauté. Il y a un moment où c’était même un peu schizophrénique parce que c’était tout le temps du zapping entre plusieurs cultures.
Encore aujourd’hui, j’observe que malgré le fait qu’il y ait encore plus de diversité dans lescommunautés, il n’y a pas d’événements communs, de mélange »

UNE ÉVOLUTI ON TRANSGÉNÉRATIONNELLE

La transition de la multiculturalité vers l’interculturalité ne s’opère pas du jour au lendemain. La première génération, souvent issue d’un milieu rural et qui n’a pas eu d’accès à l’éducation, est arrivée en Belgique en quête de prospérité essentiellement économique. Les conditions d’accueil en Belgique s’accompagnent dans certains cas par une dépréciation du statut et de la condition socioprofessionnelle ce qui peut favoriser la nostalgie de leur pays d’origine.
Née en Belgique, la deuxième génération tend progressivement à se désenclaver du strict périmètre de sa communauté. Elle bénéficie d’espaces extérieurs au quartier (comme l’école) dans lesquels la communauté du pays d’origine est majoritairement établie. Jadis refuges, ces quartiers se conçoivent comme des points de
repère où les populations partagent les mêmes origines et sont confrontés aux mêmes problématiques d’intégration.

Pierre Chemin : « J’ai l’impression que certaines cultures et même milieux sociaux peuvent, ont le temps de s’intéresser à d’autres choses qu’à leur quotidien et leur famille. Mais seulement lorsqu’ils ont l’opportunité de sortir de la préoccupation première de "survivre" au jour-le-jour ».

Cet espace peut être assimilé à un village composé de personnes issues de la même “famille” et apparaît parfois sous certains aspects comme un “ghetto” où la pression et le contrôle social peuvent être lourdement ressentis et en particulier par les femmes. Cette pression se manifeste par un isolement qui peut aller de pair avec un repli sur des traditions potentiellement liberticides pour la femme dont la vie se limite aux frontières du quartier. La deuxième génération, qui n’a pas connu la migration en tant que telle, est quant à elle confrontée à un questionnement identitaire dont le caractère hybride peut s’avérer complexe à négocier et assimiler.

Tülin Özdemir : « À mon avis, ce contrôle social existe bel et bien : ça peut être positif, mais ça renforce aussi le communautarisme (label turc, associations turques...) et il faut faire attention à ça. Il y a un contrôle social culturel parce qu’il y a des coutumes, des traditions, une façon de penser et c’est très caractéristique à la Turquie »

NÉGOCIER SA LIBERTÉ

La troisième génération peut s’affranchir en partie de la pression sociale du quartier d’origine. Son identité plurielle est moins remise en cause. Elle s’oriente davantage vers un questionnement autour d’une éventuelle identité prédominante au sein des nombreuses facettes qui composent la manière dont un individu se conçoit. Ce questionnement est facilité par les possibilités d’interactions interculturelles que favorise l’accès à l’éducation et un environnement de plus en plus diversifié.

Cette troisième génération serait plus encline à franchir les frontières communautaires perçues par les aînés ou perpétuées par les discours sociaux.

Tülin Özdemir : « Dans mon parcours personnel, j’ai été un peu plus trash dans mes réactions, j’ai tout balancé, je suis partie de chez moi et ça a créé des cataclysmes. Par contre, les jeunes filles d’aujourd’hui ne sont pas du tout là-dedans dans le sens où elles se disent qu’elles peuvent faire des compromis, elles négocient. Mais la question où je suis en alerte c’est : jusqu’où on peut faire des compromissions ? ».

« Dans ce projet, on est rentré dans un espacequi n’est absolument pas connu et encore, je trouve qu’avec ce film, on n’a fait qu’effleurerune réalité. Je pense que c’est important de montrer à ces femmes qu’elles sont importantes, qu’elles peuvent exister et qu’elles n’ont pas juste une fonction de mère qui est le pilier dela maison, qui ne peut pas faillir, au contraire de son mari. Avec ce projet, on a réussi à ce que ces femmes puissent s’exprimer clairement et donner leur propre opinion ».


1. Ouali N., « Mise à l’honneur des femmes marocaines. Cinquante ans de l’immigration marocaine en Belgique ». in Chronique féministe, n°113, janvier-juin 2014, p.6
2. Fédération Wallonie- Bruxelles, Une brève histoire de l’immigration en Belgique, Marco Martiniello et Andrea Rea, http://germe.ulb.ac.be/uploads/pdf/infos%20livres/BreveHistImmBelg2012.pdf

3. Özge et sa petite Anatolie, http://ozge.be/

Projection de « Özge et sa petite Anatolie »

Samedi 5 mars 14:00-16:00

Centre Culturel de Schaerbeek
91-93 Rue de Locht,
Schaerbeek, Bruxelles

Vendredi 11 mars 19:00-21:00

Espace Razi
200 Chaussée de Louvain,
Saint-Josse-Ten-Noode, Bruxelles

Lundi 14 mars 14:00-16:00

Énéo, mouvement social des aînés
117 Boulevard Anspach, Bruxelles

Mercredi 16 mars 19:30-22:00

Bibliothèque-médiathèque le Phare
935 Chaussée de Waterloo,
Uccle, Bruxelles

Jeudi 17 mars 09:00-11:00

SIMA asbl
21 Rue Brialmont,
Saint-Josse-Ten-Noode, Bruxelles

Vendredi 18 mars 20:00-22:00

Boom, le café du commerce équitable
7 Rue Pletinckx,
Bruxelles