« D’abord être soi » - Le parcours de Reda Chebchoubi

En 2006 se déroulait la première édition du Festival À Films Ouverts. C’est Reda Chechoubi, aujourd’hui comédien et réalisateur, qui fut récompensé par le public pour son court métrage Coeurs Brisés. Devant ou derrière la caméra, son engagement dans l’associatif et dans le domaine artistique en tant que belge d’origine marocaine interpelle sur le rapport entre l’appartenance à une communauté et les opportunités qu’offre le milieu du cinéma. Cette année, pour la onzième édition du Festival À Films Ouverts, il présidera le jury du Concours de courts métrages. C’est l’occasion de lui donner la parole sur son parcours.


Je faisais des études d’assistant social et suis devenu comédien en 1998. En 2004,j’ai eu un déclic sur un plateau de tournage ; je ne connaissais rien au langage cinématographique.
J’ai donc décidé de suivre une formation d’initiation. Comme exercice, on nous a demandé de réaliser un court métrage sur le thème du racisme. Je me disais « Oh non, le racisme, ce truc saoulant ! Je suis belge d’origine marocaine, faire de la victimisation, non merci ». J’ai tenté de faire quelque chose d’original et j’ai réalisé Cœurs Brisés, mon premier court métrage. On nous a ensuite demandé de
l’inscrire à la Semaine Contre le Racisme. Lors du festival, j’ai pu voir d’autres projets, mais aussi d’autres types de budgets. J’avais réalisé le mien avec 300 euros, et en voyant celui des autres, je me disais « Oh la honte ! ». Et puis est
venu le moment de la remise des prix, Cœurs Brisés avait remporté le Prix du Public !

Dans la foulée, le Maroc est venu vers moi en me mettant à l’honneur et en me demandant de réaliser des émissions pour la télévision. Entre 2005 et 2007, j’ai joué avec Hicham Slaoui dans la première websérie marocaine, Yah Biladi d’Ismaël Saidi. Je suis rentré en Belgique et j’ai continué à réaliser des émissions dont L’Atlas est ouvert pour Télé Bruxelles, ou encore Arabesques. Avec le prix du Concours À Films Ouverts, j’ai créé l’asbl « Art Universel ». On a, disons, « planté la graine », et on a demandé aux jeunes de venir l’arroser avec leur talent ! Être derrière la caméra m’avait permis de voir les erreurs et les qualités des comédiens, les postures, les lumières et les expressions. J’ai donc voulu recommencer à jouer en 2007. Mais dans ce métier, on vous oublie très vite. Je suis repassé par la « petite porte », en faisant quelques courts et longs métrages avec des amis, sans budget. J’ai ensuite recommencé à jouer dans des registres assez différents, avec des pièces classiques et plus modernes comme aujourd’hui avec Djihad.

Quand vous avez commencé votre carrière dans le cinéma, avez-vous choisi de revendiquer votre appartenance à une communauté ou est-ce que le monde des médias l’impose ?

Je pense que c’est une question de genre cinématographique. Aujourd’hui, en Flandre, tu peux encore faire des films d’action, des comédies ou des films d’horreur, des films de genre. En Wallonie ou ici à Bruxelles, on préfère le drame social, les films d’auteur, c’est ce qui fait la vraie empreinte. Mais les problèmes sociaux, on nous en montre assez au journal télévisé. Avant, en France, on pouvait jouer un gars qui s’appelle « Léon », ça ne dérangeait pas. En Belgique, on devait jouer « Mohammed » ou « Rachid », surtout pas « Luc », ou « Max ». Ici, quand on regarde les films, on dirait que l’immigration n’a jamais eu lieu, que la Belgique n’est pas métissée. Du coup, il y a plein de rôles pour lesquels on ne t’appelle pas.

A l’époque, la VRT m’avait appelé pour jouer le rôle d’un jeune boxeur délinquant. Mais tous les Belges d’origine maghrébine sont-ils des voyous ? J’aimerais voir un film avec un père de famille d’origine maghrébine, marié à une européenne pour représenter les couples mixtes, presser les oranges pour ses enfants et aller les déposer à l’école. En choisissant de me battre pour ces rôles-là, j’ai fermé beaucoup de portes. Je dis toujours que je ne représente que moi-même, pas une communauté. Ce sont des choix. Tu acceptes ou non jouer les rôles qu’on te propose mais pour moi, quand tu fais un film, tu dois pouvoir le montrer à tout le monde, pas à une seule communauté.

Le concours À Films Ouverts propose aux amateurs d’exprimer leur vision du racisme dans des courts métrages. Que pensez-vous de cette démarche ?

Un artiste, c’est quelqu’un qui véhicule un message mais ce n’est pas donné à tout le monde de faire un film, de mettre sur papier une vision ou un message. Il ne faut pas que cette démarche reste invisible. Ce concours est fait pour éveiller des vocations. En donnant cette opportunité à des amateurs, le concours propose ce qui est le plus important ! Ça me touche de présider le jury de cette année, parce que ce sont des souvenirs, et aussi parce que ça rejoint l’objectif de l’asbl « Art Universel », celui de donner une opportunité et des moyens à des jeunes talents.
En tant que membre du jury, je serai plus attentif au contenu qu’à la forme. A l’époque, le MRAX et Média Animation m’ont encouragé,même si aujourd’hui, quand je revois Cœurs Brisés je me dis « Que c’est mauvais ! ».
J’ai envie de dire à tous ceux qui participent, amateurs ou professionnels, qu’ils ont déjà gagné.
Le plus important c’est la reconnaissance, et ils l’ont déjà, notre reconnaissance. Merci à vous de vouloir nous raconter des histoires !