Les partenaires du festival : trait d’union entre les films et les publics

Une des spécificités du festival À Films Ouverts est d’être itinérant : une multitude d’associations organisent des projections en leurs murs, hors des lieux traditionnellement dédiés au cinéma. Ce n’est alors plus le public qui va vers le film, mais le film qui va vers lui. Les ASBL Sima et EmpreinteS font partie des acteur·rices qui misent sur ce type d’événement culturel pour favoriser l’inclusion de publics fragilisés. Comment s’y prendre pour rendre le cinéma « tout-terrain » ?

Photo de Mathilde Rocchetti Photo de Mathilde Rocchetti

Quel que soit le secteur dans lequel les partenaires d’À Films Ouverts évoluent (cohésion sociale, scolaire, aide à la jeunesse...), la dimension universelle du cinéma peut être exploitée pour soutenir leur objet social spécifique. Pour Laurent Daxhelet, coordinateur des projets culturels à l’ASBL Sima [1], projeter un film « rentre dans [leur] projet global d’éducation permanente. » Pour Sylvie Traisnel, coordinatrice d’EmpreinteS [2], l’idée est « d’être un maillon entre le cinéma et les publics qui n’ont pas accès au cinéma. » Ces publics sont au cœur de la démarche. Aux animateurs et formatrices d’identifier leurs besoins pour cibler une projection adaptée.

La pédagogie, la rencontre, les émotions

« On travaille principalement avec un public qui est en cours d’alphabétisation et de FLE (Français Langue Étrangère). On a l’habitude, dans le cadre des cours, d’utiliser le film comme outil pédagogique. Cela permet de développer la parole, mais aussi de confronter le public à d’autres personnes qui parlent le français. Parce qu’en général, nos publics suivent les médias de leur propre pays.  » Le film, dans le cadre d’un apprentissage linguistique, ouvre une multitude de pistes éducatives : analyse de la bande annonce du film, de l’affiche... Soraya Elbarkani, coordinatrice pédagogique Alpha et FLE à l’ASBL Sima, complète : « Ce qui est chouette aussi c’est de faire le tour des métiers du cinéma. Et parfois il y a des personnes dans nos publics qui ont fait du cinéma, qui étaient réalisateur·rices ou acteur·rices dans leur pays.  » Au-delà d’une simple découverte culturelle ou d’un support de cours, le cinéma sert de trait d’union entre passé et présent, entre un pays d’origine et une culture d’accueil. Pour Soraya, « Il y a aussi toutes les émotions que cela réveille. Certaines histoires vont permettre de s’identifier, de se rappeler certains problèmes qui se sont passés dans leur vie ou dans leur famille. Cela permet de constater que les choses ne sont pas si différentes ici ou ailleurs. Il n’y a pas que des différences.  » La mise en débat, avant et après la diffusion du film, revêt une importance toute particulière.

Pour Sylvie Traisnel, c’est la rencontre et le dialogue qui priment, mais aussi et surtout le décloisonnement de l’accès au cinéma. C’est dans cette perspective que le projet Les toiles a vu le jour : « On a commencé notre partenariat avec DoucheFlux [3] en septembre pour toucher le public en situation de précarité. Notre projet c’est d’avoir un cinéma itinérant et mobile. On a du matériel et une équipe de bénévoles qui viennent sur place, qui s’y connaissent en technique. On déploie un écran de trois mètres, le matos son, on occulte les fenêtres. On essaye de recréer l’univers cinéma.  » Après une douche, un café à la main, c’est l’intimité de la rencontre avec le film qui est recréée dans les locaux de l’association. « Que ce soit nous ou quelqu’un qui a dormi dans la rue, tout le monde a le droit de voir un film dans de bonnes conditions ».

Le cinéma, en toute flexibilité

Si des aides variées existent pour permettre aux publics les plus fragiles de se rendre à des événements culturels, de nombreux freins empêchent l’accès à la salle de cinéma. À l’ASBL Sima, « on travaille avec des publics très précarisés. Il y a des moyens qui sont accordés via les CPAS pour aller au cinéma. Mais très peu en font la demande. » Même son de cloche du côté de Sylvie : les bénéficiaires de DoucheFlux « ont accès à des initiatives comme l’article 27, mais ne les exploitent pas. Elles ne se sentent pas à leur place dans une salle de cinéma. Des personnes à DoucheFlux m’ont dit “je suis contente que le cinéma vienne parce que moi je ne vais pas au cinéma, parce que je me sens regardée, je ne me sens pas à ma place”. » L’enjeu financier (une place de cinéma coûte entre 6 € et 15 € à Bruxelles...) constitue l’entrave la plus évidente. Mais le regard des autres est plus intimidant encore. Pour Soraya, l’organisation autonome de séances de projection permet d’éviter encore bien des obstacles. Pour les mères de famille, il est en effet presque impossible de participer à des événements en soirée, le samedi ou le mercredi après-midi. Les projections organisées en journée facilitent la participation. Mais l’avantage principal, au fond, est aussi d’être maître du choix de film proposé. La connaissance du public, de ses attentes et de ses compétences, joue ici encore un rôle clé. « Ça prend un temps fou de s’imprégner de l’environnement », précise Sylvie.

Le cinéma, à la carte, au culot

Pour Soraya, dans l’exploitation qui peut être faite du cinéma en classe de FLE, il est central de prendre en compte l’état d’avancement des étudiant·es. « Au début de l’apprentissage (du français), tout un film, c’est long. Ce qui marche super bien du coup, ce sont les courts métrages. C’est super parce qu’on peut les revoir après, c’est plus facile à décortiquer. » L’art de choisir un film pour un groupe s’appuie sur la connaissance que les animateurs et formatrices en ont, tout en faisant preuve d’audace. Soraya va « plus facilement vers les comédies, car c’est plus facile à amener. Et puis il y a des films plus politiques, et là il faut bien préparer avant, parce que cela confronte les opinions et c’est parfois moins évident. Il y a eu des films où des personnes sont sorties. Après il faut dormir dessus et revenir en discuter. Et parfois on est surpris dans l’autre sens. On peut penser que certaines scènes vont choquer, et finalement pas. Parfois, on se trompe aussi. On se pose des questions : “jusqu’où on peut aller ? Pourquoi on n’ose pas montrer cela ? Est-ce nous qui nous faisons une idée ? Ou est-ce que ça risque de galvaniser trop d’émotions qu’on aura du mal à gérer ?  » Pour Laurent, c’est bel et bien dans le cœur de la démarche d’éducation permanente qu’il s’agit de situer la réflexion : « on essaye aussi d’aborder des sujets qui sont tabous ».

Pour Sylvie, le choix du film à projeter est souvent le fruit d’une longue réflexion. Mettre en place un dialogue avec les personnes concernées permet de répondre au mieux à leurs attentes. « On a organisé un atelier de réflexion avec quelques bénéficiaires sociaux de chez DoucheFlux. On était 7. Ça a duré deux heures. Je leur ai demandé quels films ils voulaient voir. Ils ont dit par exemple qu’ils voulaient voir des films qui se passent à Bruxelles, pour voir les rues dans lesquelles ils évoluent. Une autre personne soulignait qu’elle voulait voir un film d’amour. Ils veulent voir des films qui traitent de thématiques sociales, et je ne m’en serais pas doutée. Ils ont besoin de voir des films qui les situent dans la société. Sauf un des participants qui tient à voir des films avec Jean-Claude Van Damme.  » Associé·es à la programmation, chacun et chacune prend part au projet, s’y implique, se l’approprie. Jusqu’à participer à l’installation du matériel en compagnie de l’équipe de bénévoles.

Après une période en groupe de travail restreint par la force des choses, l’heure est aussi venue, pour l’ASBL Sima, de recréer du collectif. La lutte contre le racisme et la promotion de l’interculturalité est un pilier de leurs activités. C’est dans cette perspective que Sima proposera une projection du film Sous les étoiles de Paris (Claus Drexel) le vendredi 11/03 dans le cadre du festival À Films Ouverts. « Comme c’est ouvert à tout public, parfois il y a des personnes extérieures qui ne sont jamais venues chez nous, ou des habitants du quartier, d’autres associations. Ça crée un réseau ». Les bénéficiaires de l’ASBL DoucheFlux auront, eux et elles, l’occasion de découvrir Tout simplement noir (Jean-Pascal Zadi et John Wax). « Quelques personnes du public me disaient “Ah oui j’ai vu cette affiche”. Les gens dorment dans la rue : ce sont même les premiers à voir les affiches. »

Photos de Mathilde Rocchetti

[1simaasbl.be

[2empreintes.cool

[3doucheflux.be