Mourad Boucif et Les Hommes d’Argile

Réalisateur, scénariste et éducateur dans le milieu associatif bruxellois, Mourad Boucif vient de sortir son troisième long métrage sur un sujet absent des manuels scolaires : le rôle des combattants marocains pendant la Seconde Guerre mondiale.

Après son court métrage Kamel, son film Au-delà de Gibraltar et son documentaire La Couleur du sacrifice, il repart à la rencontre de l’histoire oubliée de ces hommes arrachés à leur pays, le Maroc ou l’Algérie, appelés à venir s’impliquer dans une bataille qui ne les concernait que de très loin. Lors de notre rencontre, Mourad exprime les difficultés liées aux préjugés et les chemins qui l’ont mené à la réalisation de son film, dix ans après le début de sa réflexion.

En 2004, j’ai commencé à réfléchir sur le type de film que je voulais réaliser. Très vite, les producteurs que je rencontrais m’ont ramené à l’image que je dégageais pour eux : le gars des quartiers, le travailleur social qui a peu d’ambition et qui ne doit pas sortir de la bulle dans laquelle on l’avait enfermée. Évidemment, si vous mettez un peu de cliché, ça rapporte généralement beaucoup plus, parce qu’on surfe sur les peurs. C’est plus croustillant que si on veut nuancer. On le voit avec le traitement médiatique aujourd’hui... Les producteurs que je rencontrais ont essayé de me décourager : « Non, on ne veut pas encore un petit film de quartier », ou encore « Il n’y a jamais eu de films de guerre en Belgique ». Les producteurs veulent investir peu, gagner beaucoup mais sans faire trop de vagues avec le politique ou les affaires diplomatiques.

Sortir un film, c’est avant tout une question de réseaux, de connaissances, de financements et de contenu aussi. Tout ça nous a ramenés à une réalité qui nous a vite freinés. Au fur et à mesure de nos recherches, on s’est retrouvé avec un matériau dense et assez fort qui devait nous servir d’inspiration, et avec lequel on a réalisé le documentaire La Couleur du Sacrifice, sorti en 2006. Ça nous a permis d’aller rechercher des munitions tout en gardant nos positions. C’est pour cette raison que le processus de création du film Les Hommes d’Argile a duré 10 ans.

Arrivés au moment de la distribution, on s’est rendu compte que ce n’était pas évident de sortir un film. Les mécanismes dominants mis en place sont très hermétiques et même le service public, qui devrait être enthousiaste par rapport à ce type de sujet, y prête peu attention. Vous ne pouvez pas arriver avec votre propre film et l’introduire dans la cour des grands, avec en plus une position politique engagée qui peut déranger. Il faut dire qu’il est sorti le 18 novembre en plein dans une actualité lourde dont toute la culture a souffert, puisque tout a été paralysé. Voilà pourquoi le film est pratiquement passé inaperçu. Aujourd’hui, il est toujours à l’affiche sur une salle en Belgique, mais n’a pas bénéficié de la couverture médiatique que ce type de sujet mérite. Encore plus dans le contexte actuel, où la rencontre interculturelle est perturbée, voire menacée.

13mars_Public

Projection du long-métrage « Les Hommes d’Argile »

Le dimanche 13 mars 2016, "Les Hommes d’Argile" était projeté en présence de Mourad Boucif et des comédiens du film. La projection a été suivie d’un débat avec l’équipe du film au Centre Culturel Jacques Franck à Saint-Gilles.