Image : un film qui bouscule les médias

À l’occasion de la projection du film Image lors du festival, nous nous interrogeons sur la représentation des immigrés dans les médias. Adil El Arbi, un des réalisateurs d’Image nous éclaire un peu le temps d’une interview.

AFO :Dans Image, Bilall Fallah et vous-même dénoncez la représentation majoritairement négative des immigrés marocains dans les médias belges. Au-delà de la fiction, pensez-vous que votre film peut avoir un potentiel de sensibilisation à ce problème ? Peut-on dire qu’il y a une dimension politique dans ce film ?

AEA : Au départ, nous avons réalisé ce film pour raconter une histoire. Mais nous voulions d’une certaine façon refléter la réalité de la société, et montrer l’envers du décor. Nous voulions montrer qu’il y a un problème, et essayer de le mettre au grand jour au lieu de le cacher. Si notre film arrive à interpeler les gens et les faire réfléchir, c’est un bonus, c’est la première étape vers une solution au problème. Donc oui, on peut dire qu’il y a une dimension politique dans Image, car il s’agit tout de même d’une critique des médias, et il n’y a pas beaucoup de films belges qui traitent de cette problématique. Au final, c’est ce genre de cinéma que nous apprécions, il s’inspire du style d’Oliver Stone pour ce qui est de la dimension politique. Nous sommes durs avec les médias dans Image, c’est certain, mais nous sommes également durs avec les quartiers, et c’est exactement ce genre-là que nous voulions adopter pour notre premier long-métrage.

AFO : Le film montre bien qu’il est très difficile, voire impossible, de casser les stéréotypes véhiculés par les médias. Selon vous, que faudrait-il faire pour remédier efficacement à ce problème ?

AEA : Il faut d’abord rappeler que notre film se déroule en Flandre, où on constate une très faible présence de personnes publiques d’une autre origine. Le phénomène existe aussi en Belgique francophone, mais est moins prononcé. En Flandre, les présentateurs d’émissions télévisées, que ce soit des programmes d’information ou de divertissement, sont majoritairement des belges « de souche ». Nous pensons que l’évolution de la société et des mentalités pourra se faire en donnant l’occasion à des présentateurs, acteurs, chanteurs etc. d’une autre origine de passer à l’écran. Si on veut modifier l’image qu’on a de ces personnes et casser les stéréotypes, il faut leur donner une chance de passer à l’écran. En tant que réalisateurs de films, c’est ce type de solutions que nous imaginons, des solutions qui touchent directement au monde de l’audiovisuel.

AFO : Dans vos films, vous mettez principalement en scène des personnages issus de l’immigration. Quels sont les avantages, lorsque l’on est réalisateur, à en être soi-même issu pour parler de questions de racisme et d’interculturalité ?

AEA : Le fait est que, déjà, il n’y a pas beaucoup de films qui traitent de cela, donc en général nous recevons beaucoup de soutien parce que les gens commencent à s’intéresser à ces problématiques et aux reportages ou films sur des personnes d’une autre origine. Donc le fait d’être soi-même marocain aide pour avoir du soutien des acteurs et recevoir des subsides. Quand on réalise un film, il y a évidemment tout un travail de recherche à effectuer, et ce travail est simplifié lorsqu’on connaît déjà le sujet qu’on aborde. Nous sommes tous les deux des Marocains vivants en Belgique, donc c’est un monde que nous connaissons très bien. Par contre, dans Image, la moitié du film se passe dans une rédaction. Nous avons dû nous familiariser avec ce monde inconnu en allant nous-mêmes dans une rédaction et parler avec des journalistes. Mais en tout cas, je pense que nous avons beaucoup moins de barrières qu’un réalisateur belge par exemple pour traiter de ce genre de sujets. Le réalisateur belge, lui, doit faire attention au ton qu’il adopte, et à certaines formulations, pour ne pas risquer de perpétuer des stéréotypes et être accusé de racisme, alors que nous devons prendre moins de précautions à ce niveau-là.

AFO : Pensez-vous que les relations interculturelles sont devenues plus complexes ? D’après vous, le racisme a-t-il évolué ?

AEA : Je crois que c’est devenu en général un peu plus subtil, et pas très cohérent. On peut avoir des personnes se revendiquant de gauche qui sont racistes envers les musulmans par exemple. Nous vivons un phénomène assez spécial actuellement, où l’on voit des progressistes faire preuve de racisme. Je crois que nous sommes dans une période de crise, qui voit apparaître des extrêmes de tous les côtés, mais je suis optimiste, je pense que nous pouvons vaincre cette crise avec un peu de bonne volonté. Mais il y aura toujours de la discrimination. C’est un phénomène qui a toujours existé, dans toutes les sociétés, et je ne pense pas qu’on arrivera à l’éradiquer. Pour le moment, une partie de la population n’est pas vraiment raciste, mais suit plutôt des automatismes, en faisant l’usage de stéréotypes et en tirant des conclusions sans vraiment y réfléchir.

AFO : Pouvez-vous nous parler de votre prochain film Black ? Pourquoi avoir choisi de parler des bandes urbaines à Bruxelles ?

AEA : Black, c’est une histoire d’amour à la Romeo et Juliette. Le film parle de Mavela, une jeune fille d’origine africaine qui fait partie d’une bande urbaine du quartier Matonge. Elle tombe amoureuse de Marwan, un garçon qui, lui, fait partie d’une bande urbaine de Molenbeek. C’est une histoire assez classique, mais nous l’avons modernisée en la situant dans le contexte de Bruxelles d’aujourd’hui. En plus, on y retrouve une réalité, celle des bandes urbaines. On en compte aujourd’hui trente-cinq à Bruxelles, c’est donc un phénomène assez important. Nous trouvions qu’il était intéressant de réaliser un film qui montre d’un côté une histoire romantique, et d’un autre côté, cette réalité qui est parfois très dure des bandes urbaines dans la capitale. Au niveau de la recherche justement, ce film se base sur l’ouvrage d’un écrivain très populaire en Flandre, Dirk Bracke. Il avait déjà fait une recherche très approfondie avec les jeunes des bandes, mais aussi avec des policiers. Son livre était déjà très documenté mais nous avons nous-mêmes fait quelques recherches en allant dans le quartier Matonge et en discutant avec les jeunes, les policiers, etc. Ceci dit, même si le phénomène est bien réel, nous ne voulions pas réaliser un documentaire, nous restons attachés au genre de la fiction.

La représentation de la diversité et des immigrés dans les médias belges

Le baromètre de la diversité et de l’égalité du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) de 2013 nous permet de confronter les propos d’Adil avec la situation en francophonie. Le CSA évalue qu’en trois ans, la visibilité à l’écran des intervenants « vus comme non blancs » a progressé de 6,72%, pour atteindre les 16,98% en 2013. Cependant, que l’on se trouve dans un programme d’information ou de divertissement, on observe toujours une grande majorité d’intervenants « vus comme blancs ». Le baromètre fait également ressortir que les rôles les plus prestigieux sont majoritairement occupés par des intervenants « vus comme blancs ». On peut donc se demander si ces améliorations sont réellement significatives, d’autant plus que ces chiffres ne donnent aucune précision sur la nature de la représentation. Est-elle positive ou négative ? L’étude de 2009 du CSA sur la représentation de la diversité au sein des programmes de la télévision belge francophone montrait que les minorités étaient « le plus souvent représentées au sein de la sphère société, dans le cadre de sujets traitant de la vie en communauté, de l’immigration ou encore de la criminalité ».

Répartition de la présence : figurants (18,03%), personnages de fiction (16,71%), vox populi (16,63%) sont les rôles où la proportion d’intervenants « vus comme non blancs » est la plus élevée.
Pour tout ce qui est expert, journaliste etc., les chiffres sont nettement plus bas : journaliste/animateur (9,94%), candidat à un jeu (13,85%), porte-parole (8,28%) et expert (8,10%).
Source : le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel : www.csa.be/diversite